TROMPE-L’ŒIL

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TROMPE-L’ŒIL

On pourrait dire que le trompe-l’œil est une représentation destinée à donner l’illusion de la réalité, si cette définition n’était également applicable à presque toutes les œuvres d’art de conception réaliste. Le trompe-l’œil naît quand la volonté de «tromper» l’emporte sur l’intention esthétique et incite l’artiste à utiliser tous les artifices techniques possibles, le premier étant l’intervention de la troisième dimension, d’une perspective qui fait «sortir» un ou plusieurs objets de la surface du panneau, de la toile, de la paroi lorsqu’il s’agit d’un décor mural.

L’histoire du trompe-l’œil commence, dans la légende, avec la grappe de raisin peinte par Zeuxis de façon tellement véridique que les oiseaux venaient la picorer; dans les musées, elle commence avec les fresques de Pompéi figurant des loggias ouvertes sur des jardins, des portes entrebâillées où se profilent de fines silhouettes, et surtout des éléments d’architecture (colonnes, corniches, frontons) représentés en saillie dans la salle et «sortant» du mur. En mosaïque, l’exemple le plus surprenant de l’illusion calculée est le pavement sur lequel sont «tombés» les reliefs du repas, pelures de fruits, miettes, débris de toutes sortes. La peinture médiévale, essentiellement religieuse et édifiante, ne se préoccupe pas de ces jeux, qui réapparaissent à la Renaissance dans la peinture profane. Les recherches sur la perspective et l’expression de l’espace amènent tout naturellement certains artistes au tour de force illusionniste, qui triomphe tout d’abord dans la marqueterie, avec des ensembles comme le Studiolo d’Urbin, ou celui de Gubbio (conservé au Metropolitan Museum): les livres, les armures, les instruments de musique s’entassent sur des tablettes ou dans des armoires entrouvertes. Dans la peinture murale, les exemples sont nombreux des effets de perspective ouvrant l’espace sur «l’extérieur»: il y a illusion, non pas trompe-l’œil à proprement parler; celui-ci intervient lorsqu’un élément de la surface peinte est représenté de telle sorte qu’il semble appartenir à l’espace «intérieur» de la pièce, celui où se meut le spectateur: le critère est que celui-ci soit «pris au piège», tel ce laquais du Vatican qui, voyant un tapis «oublié» sur une balustrade, se précipite pour l’enlever avant l’arrivée du pape et s’aperçoit que le «tapis» est une peinture de Giovanni da Udine. Avec la loggia de la Farnésine, Raphaël crée une transition entre l’espace intérieur de la villa et le jardin: relève-t-elle de l’illusion ou du trompe-l’œil?

Les décors d’opéra, les «apparats» de fête visent, de la même manière, à prolonger l’espace réel — la scène, la place, la rue — par l’espace fictif où se déroule le spectacle. Ces créations éphémères qui se multiplient au XVIe siècle stimulent les imaginations: ce sont les personnages de la comédie italienne (peints, grandeur nature, par A. Scalzi vers 1560-1563) qui, au château de Trausnitz, en Bavière, viennent hanter l’escalier des Bouffons, se glissent dans l’embrasure des portes, dégringolent sur le dos les fausses marches prolongeant les volées de pierre. Déjà, dans la salle des Géants, au palais du Te de Mantoue (1525-1535), Jules Romain fait «éclater» les murs, le plafond, l’Olympe. Puis Véronèse réconcilie le ciel et la terre: le plafond de la salle du Grand Conseil, au Palais ducal (vers 1585), s’ouvre pour exalter le Triomphe de Venise ; à la villa Barbaro de Maser, les belles Vénitiennes se penchent sur de faux balustres, le chasseur «entre» dans le salon, précédant les innombrables figures qui, jusqu’à Tiepolo, vont surgir dans les loggias, sur les corniches et les balcons des villas de la Brenta. Partout, hors de Venise, hors d’Italie, les décorateurs baroques annexeront «les espaces infinis». À vrai dire, la recherche de l’illusion spatiale s’éloigne du trompe-l’œil au sens strict: l’artiste sait qu’il ne peut plus tromper personne. C’est aux peintres de chevalet qu’est désormais réservé ce jeu. À côté des natures mortes, qui présentent dans un espace autonome, extérieur au spectateur, des fleurs, des fruits vivant leur «vie silencieuse» au-delà de la surface de la toile, il y a les objets représentés de telle sorte qu’ils se projettent hors de la surface peinte, s’offrant non seulement au regard mais à la main du spectateur: une mouche qu’il est tenté de chasser, un livre qu’il voudrait fermer, une gravure — de Berchem, de Pérelle, de Leclerc — qui s’envole. Le genre triomphe au XVIIe siècle en Hollande surtout (Cornelis Brize, S. Van Hoogstraten) mais aussi en France (Wallerant Vaillant) et en Angleterre (Everett Colyer): il y a désormais des spécialistes du genre qui, au XVIIIe siècle, se prolonge surtout dans l’art populaire et naïf (silhouettes découpées, tableaux représentant des troncs à aumônes, et effectivement percés d’un trou pour les oboles, etc.). Au XIXe siècle, les spirituelles — et rares — compositions d’un Boilly ne suffisent pas à maintenir la tradition en Europe: ce sont les peintres américains qui la préservent (J. Goldsborough Bruff, 1804-1889; W. M. Harnett, 1848-1892; plus tard John Haberle, 1856-1933). Les billets de cinq dollars remplacent les gravures de Pérelle sur les faux panneaux de bois, en attendant les collages des cubistes, quintessence et destruction du trompe-l’œil. Après eux, la voie est libre pour les visions trompeuses, illusionnistes, oniriques, de Magritte et des autres surréalistes.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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